Le 16 juin 2022, un homme est décédé des suites d’une blessure à la tête causée par un tir policier. A part quelques articles de presse locale (https://actu.fr/provence-alpes-cote-d-azur/nice_06088/migrant-blesse-par-balles-a-nice-ce-qu-il-s-est-reellement-passe-depuis-sospel_51763304.html , ou https://www.nicematin.com/faits-divers/course-poursuite-entre-sospel-et-nice-la-personne-blessee-par-le-tir-dun-policier-est-decedee-774436 ) ce qu’il s’est produit à la frontière franco-italienne le 15 juin 2022 est passé inaperçu. Pourtant, cela s’inscrit dans dans la continuité d’une série d’épisodes récents ayant suscité un vif débat sur l’usage de la violence par la police en cas de refus d’obtempérer par des automobilistes.
Ce que l’on sait:
Selon le communiqué du procureur de la République de Nice (https://mobile.twitter.com/XavierBonhomme1/status/1537070792785141760?ref_src=twsrc), la PAF aurait reçu de la part de ses homologues italiens le signalement d’une camionnette transportant des personnes en situation irrégulière, circulant entre la vallée de la Roya et Nice, sur l’une des voies de passage bien connues de la zone frontalière. Dans le PV de l’enquête (que nous avons pu consulter), la PAF admet que le contrôle effectué cette nuit là s’est effectué dans le cadre de la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures de l’espace Schengen (cf. infra). Repérée en amont, la camionnette aurait refusé d’obtempérer une première fois entre Fanghetto (Italie) et Sospel (Sospel). S’enclenche alors une course-poursuite de 40 kilomètres sur une route de montagne très sinueuse. A Cantaron, dans les hauteurs de Nice la police aurait de nouveau tenté de bloquer la route. C’est là que, le conducteur forçant de nouveau le passage, la police aurait tiré à 4 reprises en justifiant d’une situation de légitime défense. L’une des personnes qui était à l’arrière du camion a alors reçu une balle à la tête. Suivie par plusieurs véhicules de police, la camionnette a continué sa fuite jusqu’au quartier des Moulins à Nice. Le conducteur ainsi que 2 personnes assises a l’avant auraient pris la fuite, abandonnant le véhicule. Bloqués à l’arrière, le blessé et 4 autres passagers auraient été retrouvés sur place par la police. Deux impacts de balles au niveau des feux avant et des roues ont été constatés par le procureur, l’un ayant transpercé la carrosserie. Suite à cela le blessé grave (et un autre blessé léger en état de choc) a été transporté à l’hôpital où il a succombé à ses blessures le lendemain. Tandis que celui-ci agonisait à l’hopital, ses compagnons de route ont été arrêtés puis conduits au Centre de Rétention Administrative (CRA) de Nice.
Reconnaissant entre autres l’absence de prise en charge en terme de santé mentale de personnes traumatisées, le Juge des Libertés et de la Détention (JLD) a ordonne leur libération le 17 juin. Cependant le Procureur s’est acharné en faisant appel de la décision, prolongeant ainsi la double-peine infligée aux victimes, encore sous le choc. Celles-ci risquent désormais un mois de détention suivi d’un éloignement du territoire.
La frontière tue
En 2015 la France suspend unilatéralement l’application du Code Frontière Schengen d’abord pour cause formelle de COP21, puis d’antiterrorisme (suite au bataclan). Depuis 2020, le coronavirus est le dernier argument en date venu justifier cela. Le mythe d’une frontière étanche à tous les maux du monde permet de cacher une réalité bien différente. Les habitants du territoire savent très bien que le dispositif cible bien autre chose que le terrorisme ou le Covid. Dans la pratique, il cible les exilé.e.s arrivant d’Italie. C’est d’ailleurs ce qui force ces derniers à trouver d’autres voies de passage plus dangereuses ou coûteuses, et ce qui explique la prolifération des passeurs depuis lors.
Bien que le code frontières Schengen autorise les Etats-membres à réintroduire des contrôles systématiques à leurs frontières intérieures, cette mesure ne peut en aucun cas dépasser un délai de 2 ans selon ce même code. Or, la France a maintenu ces contrôles de 2015 à aujourd’hui. Le dispositif dans lequel s’inscrit l’opération ayant conduit à la mort de cette personne est donc illégal au regard du droit européen, comme l’a encore rappelé la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) le 26 avril dernier (https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=258262&pageIndex=0&doclang=en&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=428016).
Vu que ces contrôles sont illégaux depuis 5 ans, rien d’étonnant à ce que leur illégalité reste indiscuté dans l’opinion publique. De même, rien d’étonnant à ce que le degré de violence dont la PAF ait fait preuve ne soit pas mesuré à l’aune du délit initial dont ils ont été averti dès le début par leur homologues italiens: l’aide à l’entrée et au séjour irrégulier. Pour un délit toute somme « banal », la police a donc fait usage d’armes à feu au moins à quatre reprises.
Faut-il s’étonner qu’une telle violence à nos frontière ne choque personne? Ce n’est pas la première fois qu’un exilé meurt des balles de la police à cette frontière. En 1995 déjà, Todor, (https://www.amnesty.org/ar/wp-content/uploads/sites/8/2021/06/eur210041995fr.pdf), un enfant bosniaque, fut tué, toujours à Sospel et dans des conditions similaires. A l’époque, cela avait suscité un vif émoi. Si c’est la seconde fois qu’un.e exilé.e meurt directement des balles de la police, ce sont pas moins de 47 personnes ((https://www.borderforensics.org/investigations/blessing-investigation/) qui ont péri en tentant de franchir la frontière franco-italienne depuis 2015. Alors oui, il semble ce qui choquait hier s’est banalisé.
La police tue
Ce drame vient, encore une fois, rappeler que la police tue, et qu’elle tue en toute impunité. Les parallèles avec la succession d’affaires récentes impliquant l’usage d’armes à feu face à des refus d’obtempérer est évidente. On pense à l’affaire du pont neuf, le meurtre de Souheil en août dernier dans le 3ème arrondissement de Marseille, celui tout récent de Raiana, ou encore ce qu’il s’est à peine produit dans le même quartier du 18ème arrondissement de Paris (https://actu17.fr/faits-divers/paris-un-automobiliste-refuse-le-controle-et-fonce-sur-les-policiers-qui-ouvrent-le-feu.html).
Dans tous ces cas, le refus d’obtempérer de la part d’un chauffeur semble avoir été suffisant pour justifier, aux yeux des tireurs, de la justice, de la presse et d’une part de l’opinion publique, l’usage « proportionné » de la force : une salve ininterrompue de tirs à balle réelle. Dans tous ces cas, on ne comprend donc pas bien comment les conducteurs aient pu à la fois « accélerer en direction du véhicule de police » et vouloir « prendre la fuite ». Soit le véhicule de police aurait du être percuté, soit en cas de fuite, la légitime défense ne se justifie pas. En d’autres termes, les témoignages des policiers se contredisent eux-mêmes. Dans tous ces cas, on ne comprend pas bien, vu que le conducteur cherchait à contourner le contrôle, son intérêt à braquer son volant sur les policiers. En revanche, on peut très bien imaginer l’intérêt des forces de l’ordre d’établir une telle version, de sorte à pouvoir plaider la légitime défense.
Pour revenir à ce qu’il s’est passé dans les Alpes Maritimes: Le communiqué de presse du Procureur nous apprend que deux enquêtes ont été ouvertes. L’une contre les conducteurs/passeurs, pour aide à l’entrée et au séjour irréguliers, refus d’optempérer « aggravé par la mise en danger d’autrui », et tentative d’homicide sur PDAP. L’autre, auprès de l’IGPN, contre les flics meutriers, pour « violences volontaires avec arme par personne dépositaire de l’autorité publique suivie d’une incapacité supérieure à 8 jours ». Nous parlons ici d’un simple passager, décédé d’une blessure à la tête des suites d’un tir policier. Et le Procureur parle d’une ITT de 8 jours. Tentative d’homicide volontaire pour un homme qui de toute vraisemblance a cherché à contourner (et non pas écraser) un barrage de police, violence volontaire ayant entraîné 8 jours d’ITT pour l’homme qui a porté le coup fatal et qui est sorti libre après quelques heures de garde à vue. Deux poids deux mesures.
Des solidaires et habitant.e.s de la frontière