l’expulsion forcée d’Ali

Retour sur la collaboration des pays européens dans leurs stratégies d’expulsions forcées

 

Le 10 septembre, ça faisait 88 jours que Ali était enfermé au CRA du Canet, à Marseille. Originaire du Pakistan, il avait un titre de séjour italien, valable jusqu’au 23 septembre 2025. Mais le 10 septembre, sans l’avoir prévenu, les flics son venus le chercher au petit matin dans sa chambre du CRA et l’ont emmené à l’aéroport de Marignane. Là, ils ont fait comme s’ils lui laissaient un « choix ». Ils lui ont dit : ou bien tu montes de toi-même dans l’avion, ou bien on te fait monter de force…  Vu l’escorte (15 flics, venus de Paris), il n’a pas résisté.

Arrivé à l’aéroport international d’Islamabad au Pakistan, europol remet Ali et les autres personnes à la police pakistanaise. Elle avait l’air d’avoir déjà une liste toute prête avec leurs identités. Il a ensuite été laissé à la sortie de l’aéroport. Il n’avait plus rien sur lui et, surtout, plus ses documents italiens, qu’il n’a jamais revus depuis son entrée au CRA à Marseille.

L’avion est reparti, et a fait une autre escale à Chypre. Ali est resté assis dans l’avion, mais 25 nouvelles personnes sont montées à bord. En tout, il devait y avoir une soixantaine de personnes expulsées en même temps, depuis plusieurs pays (non seulement la France, l’Allemagne, Chypre, mais aussi la Pologne). 60 personnes, pour environ 200 flics.

Le jet privé est d’abord parti pour Leipzig, en Allemagne. On l’a fait descendre, et remonté dans un autre avion, beaucoup plus gros. Il s’agissait cette fois d’un avion de ligne de la compagnie Iberojet. Une vingtaine d’autres personnes sont montées à bord pour être expulsées, comme Ali, au Pakistan. L’avion était spécialement affrété aux fins de la déportation : il n’y avait pas de passagers réguliers, seulement des personnes déportés et des policiers d’europol. Aucun observateur indépendant à bord qui pourrait signaler ce qui s’y passe.

Ali est depuis retourné dans son village natal près de Lahore. Mais il compte bien revenir en Europe.

Ce genre de pratique d’expulsion globalisé au niveau européen existe depuis les années 1990 via des charters d’expulsion. La France et l’Allemagne semblent avoir été les principales instigatrices de cette coopération intergouvernementale.

Dès 1992, le Conseil européen s’accordait sur l’organisation d’une « gestion concertée » des renvois qui, tout en contrevenant au principe selon lequel « l’expulsion de ressortissants de pays tiers devrait se faire sans passer par le territoire d’un autre État membre », reconnaissait la nécessité d’une communautarisation des politiques de renvois « pour des raisons d’efficacité, de rapidité ou d’économie ».

Puis, des standards communautaires ont été définis en 2004 dans la décision européenne relative à l’organisation de « vols communs pour l’éloignement ». Celle-ci préconisait, « dans le cadre des mesures et actions visant au renforcement de la coopération opérationnelle entre les États membres, d’assurer de manière aussi efficace que possible le retour des ressortissants des pays tiers séjournant illégalement sur le territoire d’un État membre en partageant les capacités existantes pour l’organisation de vols communs. »

Depuis, les pratiques à l’échelle de l’UE se sont diversifiées, et il existe maintenant de multiples façons d’« européaniser » les expulsions groupées par voie aérienne. On peut ainsi distinguer :

– une « opération conjointe de retour » : il s’agit d’un vol d’expulsion organisé par la police d’un État membre auquel participerait un représentant d’un autre État membre (escorteur, observateur, médecin, diplomate…).

– une « opération nationale de retour » : lorsqu’un un seul État membre est impliqué, mais l’opération peut être soutenue par Frontex.

– une « opération de retour par collecte » : lorsqu’un des représentants d’États non membres de l’UE viennent « collecter » leurs ressortissants respectifs dans un État membre de l’UE ou plusieurs, avec leur propre aéronef et leurs escortes.

– les « charters Dublin » : depuis 2014, des avions sont spécialement loués par un État membre pour le transfert de personnes « dublinées » vers le pays de l’UE responsable de l’examen de leur demande d’asile.

A l’anti-CRA Marseille, on ne comprend pas trop selon laquelle de ces procédures Ali, avec qui on était en contact, a été expulsé. Il avait un titre de séjour italien encore valide. Si ces opérations de coordination intergouvernementale existent depuis longtemps, on ne savait pas qu’une telle « collecte », de pays en pays, était possible. Enfin si, on savait que Frontex participait à cela, on ne se doutait pas qu’europol était aussi dans le coup, ce qui participe encore de la construction des mobilités humaines comme menace sécuritaire. Mais quoi qu’aient été les modalités selon lesquelles Ali a été éloigné de là où il voulait vivre, elles sont intolérables.

Feu aux CRA et aux charters! Personne n’est illégal !